Une année belge qui se voulait unique : le boursier de passage devenu résident perpétuel !

Très tôt la dimension comparatiste s’est imposée dans mes recherches en fait de médiation pénale : il faut dire qu’étant partie plus tard que la majorité de ses voisins (à ce propos, voir un de mes articles), la Suisse n’a eu d’autre choix que de se positionner, dans ses diverses expérimentations, en regard de pays européens plus avancés, en tête desquels l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France ou encore la Belgique. C’est donc très naturellement que j’ai été amené, dans mon travail de thèse, à étudier avec soin ces pays, et tout particulièrement les deux terres francophones précitées.

Il aura toutefois fallu plusieurs années de lectures à distance et de simples voyages ponctuels pour que naisse véritablement chez moi (avec la bénédiction de ma compagne d’alors Manon GERTSCH, pianiste curieuse d’horizons musicaux nouveaux !) l’idée d’une immersion plus franche dans un de ces pays pionniers. Par les rencontres exceptionnelles qu’il a permises,  mon master européen en médiation (années 1999-2000, à l’Institut Universitaire K. BOESCH) allait constituer le prétexte décisif à opérer le « grand saut » : avant même l’obtention du master convoité, j’avais ainsi introduit un dossier de demande de bourse auprès du FNRS, tendant à ce que je sois accueilli un an en Belgique, pays partenaire (via l’UCL et la KUL) de la formation en question. Par chance, cette candidature allait être acceptée quelques mois plus tard, nous garantissant une bourse « de couple » (relativement coquette) pour financer un an de recherche dans le Plat pays…

Capture d’écran 2015-09-30 à 06.43.01Notre arrivée, par train, à la Gare du Midi se fit un soir d’octobre 2001. Dès les jours suivants, tandis que Manon courrait les rues à l’affût des mythiques panneaux oranges et noir identifiant les appartements à louer, j’allai me présenter successivement auprès des deux unités ayant accepté de m’accueillir, soit l’Ecole des sciences criminologiques de l’ULB (Prof. Philippe MARY) et l’Instituut Criminologie de la KUL (Profs. Tony PEETERS et Johan DEKLERCK). Je ne surprendrai personne en avouant que cette belle construction sur deux « pieds linguistiques », ne dura guère plus de 2 ou 3 semaines ! Ce délai passé, je capitulai définitivement face aux trajets fastidieux en train, à l’absence de bureau côté louvaniste et – surtout –  aux mystères de la langue de VONDEL : mon séjour se ferait donc exclusivement sur le campus du Solbosch, à Ixelles, d’autant que nous avions, dans l’intervalle dégotté un charmant – quoique petit – duplex à la Rue du Serpentin, à un jet de pierre de la Place Flagey…

Je garderai à jamais un souvenir lumineux de cette belle année passée en qualité de chercheur invité. Il faut dire qu’elle fut avant tout pour moi une période d’émerveillement, à la fois scientifique et culturel.

Avec le recul, il n’y a vraiment rien de surprenant à ce que que la Belgique ait exercé sur moi un immense pouvoir d’attraction, au point de transformer un séjour d’un an en implantation – vraisemblablement – définitive ! Même si je n’en étais pas encore conscient à l’époque, il s’avère que j’aime infiniment plus les environnements un peu chaotiques, où la poésie et l’humour trouvent à s’exprimer. En comparaison, le « propre-en-ordre » helvétique apparaît certes confortable, mais agit sur l’imagination avec la virulence d’un puissant antiseptique…

Emerveillement scientifique d’abord, car j’ai découvert là une nouvelle acception de la notion de « criminologie » : réduite pour l’essentiel à des enjeux de lutte contre le crime et de police scientifique dans la conception qui m’avait été soumise jusqu’alors, cette discipline devenait soudain, à la sauce belge, le terrain de débats homériques (sur fond de recomposition du paysage répressif par suite du séisme de l’affaire DUTROUX) entre défenseurs des politiques criminelles étatiques, soucieux d’efficacité avant tout, d’une part, et criminologues dits « critiques » (en tête desquels mes collègues « ULBistes » !), de l’autre. Dans ce bras de fer, mes nouveaux collègues se faisaient fort de dénoncer la « pénalisation du social », soit la récupération d’institutions pénales a priori « douces » et innovantes au profit de stratégies répressives demeurant, en réalité, profondément sécuritaires et stigmatisantes. Inutile de préciser que la médiation pénale se trouvait au coeur de leur suspicion, dans cette logique, ce qui me donna fort à faire pour tenter de les convaincre des vertus fondamentales de mon sujet de prédilection !

Emerveillement (socio-)culturel, par ailleurs, car Manon et moi ne manquions pas une occasion de courir dans Bruxelles pour profiter avec frénésie de son offre artistique luxuriante, autant que de la bienveillante simplicité des amis que nous nous faisions progressivement.

Capture d’écran 2015-09-30 à 06.46.59Ce climat vaguement paradisiaque ne pouvait cependant se prolonger indéfiniment. De fait, la réalité ne tarda guère à se rappeler à mon bon souvenir : il convenait de boucler cette thèse, et de rentrer en Suisse, où m’attendait la quasi-promesse de mon directeur de doctorat de me trouver un poste à l’occasion de son accession à la pension. C’est alors que se mit en branle un scénario incongru, que ne manqua pas de surprendre jusqu’à nous-mêmes : Manon et moi commençâmes à nous demander si nous ne nous trouvions pas tout simplement mieux en Belgique ! D’abord formulée sur le mode de la pure boutade, cette idée allait gagner progressivement du terrain. Avec l’effet de porter bientôt un coup fatal à ma motivation de rédacteur, alors que j’affrontais ce fameux « dernier 20 % » d’une thèse, connu pour coûter le 80 % de l’effort total : nous devions nous rendre à l’évidence, nous n’avions plus envie de rentrer !

Le processus d’officialisation de cette décision ne fut pas des plus facile, évidemment. Je fis quelques déçus de taille, au premier rang desquels mon père, qui me voyait faire un brillant parcours académique, et mon directeur de thèse, évidemment. Je parvins cependant à les amadouer – tout en satisfaisant du même coup à mes obligations administratives envers le FNRS – en publiant, à partir de mon matériau de recherche, une série d’articles dans des revues spécialisées…

Pour soulageants qu’il fussent, ces petits arrangements n’enlevaient rien, cependant, à l’acuité de la question qui demeurait encore : comment allions-nous survivre en Belgique, Manon et moi, maintenant que notre confortable viatique de boursier(s) nous était soudainement coupé ?!

Vers la période 4

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